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RACINE.

guerres du xvie siècle, la vie de salon avait donné une grande place aux femmes et revêtu l’amour de galanterie, c’est-à-dire de respect et de délicatesse. De là toute une littérature à la suite de l’Astrée et de l’Hôtel de Rambouillet. La guerre, en recommençant au dedans et au dehors, avait détourné les âmes et les cœurs vers l’ambition, le devoir ou le point d’honneur. L’amour avait dû se subordonner à d’autres sentiments et parler le mâle langage qui convient à des hommes d’épée. C’est ainsi que le peignait Corneille. Puis, la vie de salon et de cour avait repris avec un développement qui, de nouveau, tournait l’amour à la politesse et à la galanterie. Avec sa sensibilité et son élégance, sa tendresse et sa douceur, Racine abondait sans eflort dans le nouveau sens.

Aussi peut-on l’appeler « le tendre Racine ». Nul plus que lui n’a fait parler aux amants un langage délicat comme une caresse et insinuant comme une musique. Mélancolique ou triomphant, il l’a revêtu d’un charme d’expression que rien n’égale. Hommes ou femmes, ses amants rivalisent d’adoration ou de dévouement. Le chevaleresque Xipharès parle à Monime de la naissance de son amour comme d’une initiation, et son aveu respire une fraîcheur d’aurore. La noble Junie aime dans Britannicus jusqu’à son infortune et veut que son amour lui soit comme une revanche de la destinée :

Britannicus est seul. Quelque ennui qui le presse,
Il ne voit dans son sort que moi qui s’intéresse,
Et n’a pour tout plaisir, Seigneur, que quelques pleurs
Qui lui font quelquefois oublier ses malheurs.