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LES SUJETS.

plus créatrice. De là, dans les œuvres de ce temps, et surtout au théâtre, une proportion constante de vérité et de convention.

Âme chrétienne, esprit nourri d’antiquité, cœur ardent, génie observateur et psychologue, Racine combine cette convention et cette vérité avec une harmonie qu’aucun de ses contemporains n’a égalée. Sous les noms anciens, il peint son temps avec une force, une justesse et une franchise que des sujets contemporains n’auraient pas admises à un degré supérieur. Il use de l’antiquité avec une sûreté de connaissance et d’intelligence qui en ressuscite l’esprit dans ce qu’il a d’essentiel, sous des erreurs de pure surface. Il ne dénature jamais ses modèles ; il les transforme en les égalant ; il leur donne une perfection égale et différente. Son théâtre, toujours chrétien et français, représente les civilisations hébraïque, grecque, romaine, turque, avec une fidélité savante et scrupuleuse. Surtout, par-dessus les noms antiques, les héros et les rois, par-dessus la France monarchique et chrétienne, il a en vue l’homme en soi, celui de tous les temps et de tous les pays. La vérité légendaire et la vérité historique, la vérité contemporaine et la vérité permanente sont le résultat de cet art composite et mesuré.

Que Racine se borne à prendre quelques traits dans la légende antique ou qu’il lui emprunte des sujets entiers, il témoigne du même scrupule et use de la même liberté. Pour Andromaque, où quelques vers de Virgile lui suffisaient comme point de départ, il fait cette déclaration : « Mes personnages sont si fameux dans l’antiquité que, pour peu qu’on les