Page:Larroumet - Racine, 1922.djvu/149

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
LA TRAGÉDIE DE PASSION.

Mais c’est là un mouvement très humain. Il est rare que, devant le résultat de nos fautes, nous ayons la franchise de nous reconnaître les artisans de notre malheur. Ce n’est pas le ciel qui obligeait Oreste à tuer Pyrrhus. Il a, sciemment, appliqué sa volonté à commettre un crime. Il se rendait justice lorsqu’il disait à Hermione :

Je sais que vos regards vont rouvrir mes blessures,
Que tous mes pas vers vous sont autant de parjures.
Je le sais, j’en rougis.

Au contraire, les personnages de Corneille appliquent leur volonté à se défendre contre les coups du destin. Ils ont le droit, comme Molière le disait plaisamment dans la Critique de l’École des femmes, « de braver en vers la fortune, accuser l’es destins et dire des injures aux dieux ».

De là cette juste définition que la tragédie de Corneille subordonne les caractères aux situations, et la tragédie de Racine, les situations aux caractères.

Aussi le ressort des tragédies de Racine est-il tout intérieur. Par cela seul que tel personnage est animé de tel sentiment et veut telle chose, il doit accomplir tels actes, ceux-là nécessairement et pas d’autres. Par cela seul que tels personnages, animés de tels sentiments, se trouvent en présence, il est inévitable que tels conflits surgissent entre eux.

Dès Andromaque, Racine dirige avec la plus exacte précision cette mécanique passionnelle. M. Paul Janet a montré par une pénétrante analyse quelle science psychologique dénote cette première pièce. Andromaque, captive de Pyrrhus, est fidèle à la