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LA TRAGÉDIE DE PASSION.

théâtre surprenants. Rien de moins ordinaire que le sujet légendaire du Cid, si ce n’est le sujet historique d’Horace. C’est que, plus la situation où le poète jette ses héros sera difficile et dangereuse, plus ils pourront déployer leur volonté, plus ils seront héroïques. Racine, au contraire, se préoccupe surtout de vérité, et les sujets les plus simples lui suffisent. Dans le parallèle de sa poétique avec celle de Corneille, qu’il a indiqué à propos de Britannicus, il est tout à fait injuste pour son grand devancier ; mais, en faisant à Corneille un mérite de ce qu’il lui reproche et en effaçant quelques mots méprisants, voici bien ce que la tragédie racinienne et la tragédie cornélienne sont à l’opposé l’une de l’autre :

Au lieu d’une action simple, chargée de peu de matière, telle que doit être une action qui se passe en un seul jour el qui, s’avançant par degrés vers sa fin, n’est soutenue que par les intérêts, les sentiments, les passions des personnages, il faudroit remplir cette même action de quantité d’incidents qui ne se pourroient passer qu’en un mois, d’un grand nombre de jeux de théâtre, d’autant plus surprenants qu’ils seroient moins vraisemblables, d’une infinité de déclamations où l’on feroit dire aux acteurs tout le contraire de ce qu’ils devraient dire.

Il complétait cette déclaration dans la préface de Bérénice :

Il n’y a que le vraisemblable qui touche dans la tragédie. Et quelle vraisemblance y a-t-il qu’il arrive en un jour une multitude de choses qui pourroient à peine arriver en plusieurs semaines ? Il y en a qui pensent que cette simplicité est une marque de peu d’invention. Ils ne songent pas qu’au contraire toute l’invention consiste à faire quelque chose de rien, et que tout ce grand nombre d’incidents a toujours été le refuge des poètes qui ne sentoient dans leur génie ni assez d’abondance ni assez de force pour attacher durant