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RACINE.

succession de grands écrivains, comme il est arrivé, pour la tragédie, en Grèce et en France, chacun d’eux, de quelque empreinte originale qu’il marque son œuvre, a commencé par suivre la trace de ses prédécesseurs immédiats. Ce que Sophocle et Euripide doivent à Eschyle, Racine le doit à Corneille.

Lorsque, en 1636, le Cid vint donner à la tragédie française le premier de ses chefs-d’œuvre, il y avait plus d’un siècle que, dans tous les pays de l’Europe, le genre tragique cherchait ses conditions d’existence. En Italie, chez les héritiers directs de la tradition gréco-latine, le drame s’efforçait d’appliquer la poétique des anciens, mais les grands écrivains lui manqueront jusqu’au bout. En Espagne et en Angleterre, il avait hésité entre la tradition classique et l’invention nationale. Celle-ci l’emportait, sous l’influence de causes très diverses dont les principales furent, pour l’Espagne, l’amour passionné de l’énergie et, pour l’Angleterre, l’individualisme. En France, où dominait le besoin de la vie sociale, c’est-à-dire la subordination en toutes choses de l’individu à l’État, le théâtre se disciplinait à l’exemple du royaume et, avec la force créatrice qui manquait à l’Italie, suivait la tradition gréco-latine. La tragédie française allait reprendre les règles essentielles de la tragédie grecque, en les adaptant à un état social différent.

Tout le dix-septième siècle, sur la foi des humanistes, a cru que ces règles avaient été formulées par Aristote, et il en a fait la trinité sacro-sainte de temps, de lieu et d’action. En réalité, ni les tra-