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RACINE.

donnait à tous deux une marque de grande estime en les faisant travailler à son œuvre favorite, la maison de Saint-Cyr : elle les chargeait d’en examiner les constitutions au point de vue du style et demandait à Racine la devise qui devait être gravée sur la croix des supérieures.

La première de celles-ci, Mme de Brinon, un bel esprit, faisait jouer aux élèves de petites pièces de sa composition, pour leur apprendre la diction et le maintien. Ces pièces étaient détestables, et Mme de Maintenon les avait remplacées par Cinna, Andromaque et Iphigénie. Nouveau danger, tout différent du premier. Mme de Maintenon écrivait à Racine : « Nos petites filles viennent de jouer Andromaque et l’ont si bien jouée qu’elles ne la joueront plus, ni aucune de vos pièces. » Elle lui demandait alors de composer exprès pour elles, selon les expressions même du poète, « sur quelque sujet de piété et de morale, une espèce de poésie où le chant fût mêlé avec le récit, le tout lié par une action qui rendît la chose plus vive et moins capable d’ennuyer ». Racine hésitait, et Boileau lui conseillait fortement de refuser. Mais, si la dévotion avait refoulé l’amour de la poésie au plus profond de son âme, elle ne l’avait pas étouffé. Depuis Phèdre, il pouvait bien marquer son aversion pour le théâtre et ses remords de l’avoir pratiqué : il n’avait en vue que le théâtre de son temps, dangereux par les sentiments qui l’inspiraient et les instruments dont il se servait, mais non le théâtre en soi. Le théâtre sans amour et sans acteurs de profession, tel que les Grecs l’avaient pratiqué, bien plus le théâtre inspiré par la foi, pou-