Page:Larroumet - Marivaux, 1894.djvu/350

Cette page n’a pas encore été corrigée
330
LE ROMANCIER.

Les acteurs, pris dans une scène passagère ou plus longuement mêlés à l’action, sont vivants et vrais comme la scène même. Voici deux commères, Mme Dutour et Mme d’Alain. Mme Dutour, que l’on vient de voir aux prises avec le cocher de fiacre, est certainement un portrait : Marivaux l’a dessinée d’après nature, avec ses colères bruyantes et vite passées, sa bonté sans délicatesse, sa franchise grossière, son bavardage torrentiel. De même pour Mme d’Alain ; celleci, d’une classe un peu plus relevée, moitié bourgeoise, moitié femme du peuple !  :

Elle vous prenait d’abord en amitié, vous ouvrait son cœur, vous contait ses affaires, vous demandait les vôtres et puis revenait aux siennes, et puis à vous ; elle vous parlait de sa fille, car elle en avait une ; vous apprenait qu’elle avait dix-huit ans, vous racontait les accidents de son bas âge, ses maladies ; tombait ensuite sur le chapitre de défunt son mari, en prenait l’histoire du temps qu’il était garçon, et puis venait à leurs amours, disait ce qu’ils avaient duré ; passait de là à leur mariage, ensuite au récit de la vie qu’ils avaient menée ensemble ; c’était le meilleur homme du monde, très appliqué à son étude ; aussi avait-il gagné du bien par sa sagesse et par son économie ; un peu jaloux de son naturel, mais aussi parce qu’il aimait beaucoup sa femme ; sujet à la gravelle ; Dieu sait ce qu’il avait souffert, les soins qu’elle avait eus de lui ! Enfin, il était mort bien chrétiennement. Ce qui se disait en s’essuyant les yeux qui en effet larmoyaient, à cause que la tristesse du récit le voulait et non pas à cause de la chose même ; car de là on allait à un accident de ménage, qui demandait d’être dit en riant, et on riait 2.

vaux. Rien n’est mieux rendu d’après nature et d’un goût plus détestable que le tableau que je cite. » (Correspondance, 1er août 1753, t. I, p. 41.)

. Remarquons, une fois pour toutes, que la simple particule de, précédant un nom propre, n’est pas plus un signe de noblesse dans les romans de Marivaux que dans la société de son temps ; voir Paulin Paris, De la particule dite nobiliaire, 1861.

. Le Paysan parvenu, deuxième partie.