Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/99

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ments qu’il sait ce que veut dire cumplo y miento[1] ; il appelle l’urbanité hypocrisie, et la décence singerie ; à toute chose bonne il applique un mauvais sobriquet ; le langage du bon ton est pour lui un peu plus que du grec : il croit que toute la politesse se réduit à dire Dieu vous garde, en entrant dans une salle et à ajouter avec votre permission chaque fois qu’on fait un mouvement ; à interroger tel ou tel, puis, se considérant dès-lors comme quitte envers toute la famille de chacun de ses interlocuteurs, à s’éloigner de tout le monde ; toutes idées dont il se garderait de se départir autant que de pactiser avec les Français. Finalement, il est de ces hommes qui ne savent se lever pour sortir qu’en compagnie d’un ou de plusieurs autres, qui s’occupent de placer humblement sous une table leur chapeau, qu’ils appellent leur chef[2], et qui, quand par malheur, ils se trouvent dans une réunion sans une canne secourable, donneraient je ne sais quoi pour n’avoir ni mains ni bras, car, en réalité, ils ne savent ni où les mettre, ni ce qu’on peut faire de bras en société.

Deux heures arrivèrent, et, comme je connaissais de longue date mon Braulius, il ne me parut pas convenable de me fourbir démesurément pour aller dîner ; je suis sûr qu’il s’en serait piqué ; je ne voulus pourtant pas me refuser un frac de couleur, et un mouchoir blanc, chose indispensable un jour de réception, et dans de telles circonstances ; je me vêtis surtout le plus lentement qu’il me fut possible, ainsi qu’un malheureux condamné qui se recueille au pied de l’échafaud et qui voudrait avoir cent péchés de plus,

  1. Je satisfais à l’usage, et je mens.
  2. Le texte dit su cabeza, proprement : leur tête.