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LE VIEUX CASTILLAN.

À mon âge, déjà, je goûte peu de changer l’ordre que depuis quelque temps j’ai établi dans ma manière de vivre, et je fonde cette répugnance sur ce que je n’ai pas un seul jour abandonné mes lares pour me départir de mon système, sans que le repentir le plus sincère ait succédé à l’écroulement de mes trompeuses espérances. Avec tout cela, un reste de l’antique cérémonial que nos pères avaient adopté dans leur commerce m’oblige d’accepter parfois certaines invitations, que ce serait grossièreté de refuser, ou pour le moins ridicule affectation de délicatesse.

Je me promenais par les rues, ces jours passés, cherchant des matériaux pour mes articles. Embobiné dans mes pensées, je me surpris diverses fois me riant à moi-même, comme un pauvre homme, de mes propres idées, et remuant machinalement les lèvres ; quelque heurt me rappelait de temps en temps que pour errer sur le pavé de Madrid, la meilleure affaire n’est pas d’être poète ou philosophe ; plus d’un sourire malin, plus d’un geste d’étonnement de ceux qui passaient à côté de moi me faisaient réfléchir que les soliloques ne doivent pas se tenir en public ; et une certaine quantité de chocs qu’au détours des coins de rues je donnai contre qui les doublait aussi distraitement et aussi rapidement que moi, me firent connaître que les distraits n’entrent pas dans le nombre des corps élastiques, et moins encore dans celui des êtres