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qui en sont la conséquence. Étendons de nouveau, étendons un voile sur le tableau auquel la folie donna le premier coup de pinceau, et empressons-nous de lui donner le dernier.

Trois ans se passent dans ce misérable état, et déjà trois fils, plus turbulents que leurs parents, remplissent la maison de leurs jeux enfantins. Déjà l’hyménée et les privations ont ôté le bandeau, qui couvrait les yeux des infortunés : l’amabilité d’Hélène est coquetterie pour son époux ; sa noble fierté, insupportable hauteur ; son bavardage amusant et gracieux, loquacité insolente et caustique : ses yeux brillants se sont ternis, ses couleurs se sont fanées, sa taille a perdu ses formes sveltes, et maintenant il s’aperçoit que ses pieds sont grands et ses mains laides ; aucune amabilité, donc, pour elle, aucune considération. Auguste aussi n’est plus pour son épouse, cet homme agréable et séduisant, souple et condescendant d’autrefois, c’est un fainéant, un être sans grâce et sans mérite, jaloux, superbe, despote, et non mari… enfin combien l’ami de l’époux lui est supérieur, cet ami qui prête de l’argent, et qui leur promet même sa protection ! Quel mouvement en lui ! Quelle activité ! Quel héroïsme ! Quelle amabilité ! Quel talent pour deviner les pensées, et prévenir les désirs ! Quel empressement à ne pas permettre qu’Hélène s’occupe de travaux grossiers ! Quelle assiduité et quelle délicatesse à l’accompagner des journées entières, tandis qu’Auguste la laisse seule ! Quel intérêt enfin est celui qu’il lui porte, quand il lui découvre pour son bien que son mari passe son temps avec une autre !…

Oh ! puissance de la calomnie et de la misère ! Cette femme qui, si elle se fut choisi un compagnon capable de la soutenir, eût ôté sans doute une Lucrèce,