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quant à la nourriture, les énamourés n’en avaient pas besoin, puisque dans aucun roman il n’était dit que les Amandas et les Mortimers s’en préoccupassent, et que d’ailleurs, jamais une soupe à l’oignon ne leur ferait défaut.

Semblable à peu de chose près fut la scène d’Auguste avec ma sœur, car quoique son raisonnement ne fût pas très-serré, il concluait de ce que les parents ne doivent pas tyranniser leurs fils, que les fils ne doivent pas obéir à leurs parents : il insistait sur ce qu’il était indépendant ; que quant à avoir été élevé et éduqué, il ne devait rien pour cela à personne, car on l’avait fait par une obligation imprescriptible, et que pour l’existence qu’on lui avait donnée il devait moins encore, parce qu’on ne la lui avait pas donnée pour lui, mais bien pour les raisons que dit notre Cadalso, entre autres gentillesses très-subtiles de cette force.

Mais les parents insistèrent aussi, et après avoir essayé divers moyens de séduction et de rapt, notre paladin n’hésita pas, vu l’obstination des familles, à employer l’expédient en vogue, c’est-à-dire un huissier ; le plan fut mis à exécution, quinze jours ne s’étaient pas écoulés que mon neveu avait décidément rompu avec sa mère ; il avait été chassé de la maison, privé de sa petite pension, et Hélène déposée entre les mains d’une puissance neutre, mais, entendons-nous, de cette espèce de neutralité dont on use aujourd’hui ; de sorte que notre Angélique et notre Médor se voyaient davantage chaque jour, et s’aimaient davantage chaque nuit. Enfin, le moment désiré arriva, la demande fut accordée ; un ami prêta quelque argent à mon neveu, les amants furent unis par le lien conjugal, ils s’établirent chez eux, et jamais il n’y eut de