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temps en temps, elle avait pour cela une bonne petite voix de contralto. Il y eut des œillades, des serrements désespérés de pieds et de mains, et diverses lettres copiées de la Nouvelle Héloïse ; et il n’y a rien plus à dire, si ce n’est qu’au bout de quatre jours les deux innocents se voyaient par le grillage d’un guichet, échangeant leur correspondance par dessous une porte, subornaient les valets dans la meilleure intention du monde, et qu’enfin un ami, qui devait vouloir beaucoup de mal au jeune homme, présenta celui-ci dans la maison.

Pour comble d’infortune, lui et elle, qui avaient donné principe à leurs entrevues, pour qu’on ne dît point qu’ils vivaient sans leur amourette, en arrivèrent à s’imaginer tout d’abord et à croire ensuite à pieds joints, comme on a la mauvaise habitude de dire, qu’ils étaient véritablement et terriblement épris. Fatal aveuglement ! Les parents, qui prévirent à quoi pouvait aboutir cette innocente affection déjà jugée, firent de leur côté tous leurs efforts pour couper le mal, mais il était trop tard. Ma sœur, au milieu de son sans-souci et de ses lumières, n’avait jamais pu se départir tout à fait de certain attachement à ses aïeux et à ses titres, car il est bon de savoir deux choses : 1o qu’il y a des sans-soucis en paroles seulement ; et 2o que nous sommes nobles, ce qui équivaut à dire que depuis l’antiquité la plus éloignée nos pères n’ont pas travaillé pour vivre. Ma sœur était jalouse de cet attribut de la noblesse, quoiqu’elle n’eût pas de biens, et c’est une des raisons pour lesquelles mon neveu était destiné à mourir de faim, si l’on ne le mettait pas à la tête de quoi que ce soit, car quant à ce qui était d’apprendre un état, oh ! qu’eussent dit les parents et la nation entière ? Donc on s’informa,