Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/86

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impériale, pour achever de voir que si cette façon de vivre était sensée et régulière, elle n’était cependant pas la plus divertissante. Quelle, en effet, sera la raison qui nous persuadera que nous devons passer tristement cette courte vie, quand nous pouvons la passer plus gaîment. Ma sœur s’enthousiasma des mœurs françaises, bientôt le pain pour elle ne fut plus pain, ni le vin, vin : elle se maria, et suivant, après la fameuse journée de Vittoria, le sort du bandit Pepe Botellas, qui avait deux yeux fort beaux, et jamais ne buvait de vin, elle émigra en France.

Il est superflu de dire que ma sœur adopta les idées du siècle ; mais comme cette seconde éducation avait d’aussi mauvaise base que la première, comme en aucune façon cette débile humanité ne sait jamais se tenir dans un juste milieu, elle passa de l’Année chrétienne à Pigault-Lebrun, et laissa les messes et les dévotions, sans plus savoir alors pourquoi elle les abandonnait, qu’auparavant elle les pratiquait. Elle dit que l’enfant devait s’élever comme il était convenable ; qu’il pouvait lire sans distinction ni méthode tout livre qui lui passait par les mains, et que sais-je des autres choses qu’elle disait de l’ignorance, du fanatisme, des lumières, du progrès, ajoutant que la religion était une convention sociale dans laquelle les sots seuls entraient de bonne foi, et de laquelle l’enfant n’avait pas besoin pour rester bon ; que père et mère étaient des mots usés, qu’on devait tutoyer papa et maman, parce qu’il n’y a pas d’amitié égale à celle qui unit les pères et les fils (sauf certains secrets que toujours les seconds tairont aux premiers, et certaines semonces que toujours les premiers donneront aux seconds) : toutes vérités que je respecte autant, si ce n’est plus, que celles du siècle passé, car chaque