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la louange s’en allait de nous, la vie s’en irait aussi ; il faut se contenter de dire, dans tout papier imprimé que la comédie a été du joli, que tous les acteurs, y compris ceux qui n’y ont pas joué, se sont surpassés eux-mêmes, que telle phrases est pleine de sens, quoique pas un chrétien ne l’entende, que la mise en scène fut quelque chose d’exquis ; que le public fut fort sensé d’applaudir ; que l’invention dernière est le summum du savoir humain, que l’édifice, la fontaine et le monument sont autant de merveilles, que telle autre chose s’est élevée sur les bases les plus solides, sous les auspices les plus heureux, que la paix et la gloire, le bonheur et le bien-être sont arrivés à leur comble, que le choléra ne vient pas aux Batuèques parce qu’il décrit des angles aigus, et que c’est chose avérée que tout ce qui suit cette marche ne peut passer par certain point ; hasarder un petit article de frivolités incapable d’offenser personne, si ce n’est le taureau ; insérer tel examen analytique du dernier ouvrage entre dirai-je et ne dirai-je pas quel en est le contenu, telle ou telle œuvre anacréontique où l’on dit à Philis quatre bagatelles de bon goût avec leur légère pointe à double entente, et quelque petit sonnet de circonstance, chose, vous savez, venant comme chaque fruit en son temps ; quant aux autres matières, motus ! les nouvelles ne sont pas faites pour être répandues, la politique n’est pas une plante du pays, l’opinion est personnelle au sot son auteur, et la vérité doit rester chez elle. En outre la langue nous a été donnée pour nous taire, comme le libre arbitre pour ne faire que le goût des autres ; les yeux pour ne voir que ce que l’on veut nous montrer ; les oreilles pour n’entendre que ce qu’on veut nous dire ; les pieds pour aller où l’on nous conduit.