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on marche à couvert des injures d’autrui. Ainsi se blotissent les enfants dans les jupes de maman pour que papa ne les fouette pas. — Que ne peignez-vous le désordre de nos mœurs et de nos… — Ah ! ne connaissez-vous pas le pays ? Moi, satirique ? Comme si le peuple avait la bêtise de comprendre les choses comme on les dit ! Mais la pénétration des Batuèques est telle qu’ils devinent l’original du portrait que vous n’avez pas fait. Dites-vous qu’il est ridicule d’être un traîne-culotte, que tout Jean-l’Âne est un pauvre homme ; voici venir une forte tête, un de ces gens achetant une réputation à tout prix : « Messieurs, s’écrie-t-il de tous ses poumons, savez-vous quel est ce Jean-l’Âne, dont parle le satirique ? Ce Jean-l’Âne, c’est moi : car pour comprendre les allusions, il n’y a personne comme les Batuèques. — Morbleu, comment pouvez-vous l’être, l’auteur ne vous connaissait même pas ? — N’importe, je parie ma tête que c’est moi ; » et il vous déclare un duel, et il n’y a plus qu’à vous laisser tuer, car c’est un homme terrible. « — Quelle est cette Sultane de l’Orient ? vous dit-on. — Quiconque est dans son cas, répondrez-vous. — Farceur ! vous riposte-t-on, c’est à moi que vous venez dire cela ? C’est la X***. » Comme s’il n’y en avait qu’une seule dans ce genre à Madrid. — Ajoutez à cela que la nature ayant réparti ses dons avec économie, que les muscles ayant été attribués par elle à celui auquel elle a refusé le talent du satirique, la tête de celui-ci court grand risque, dans les Batuèques, de ce que, si un garrot se trouve sur son chemin, cette rencontre entraîne des conséquences pire pour elle que pour lui. — Fort bien, mais ne soyez pas satirique, soyez juste, rien de plus. Quand on représente pitoyablement une comédie, quand on beugle un opéra, quand les décors sont