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pas, parce qu’il n’y a personne pour parler ? Un autre jour nous résoudrons cette question, quoiqu’il y ait de par le monde des questions tranchées, accréditées, et certaines plus paradoxales que celle-là. Mais, pour le moment, contente-toi de savoir qu’on ne parle pas ; coutume antique, si enracinée dans le pays, que pour elle seule il y a un proverbe qui dit : « Le bon silence a nom Sancho » ; je n’ai pas besoin de te dire quelle est l’autorité d’un proverbe chez les Batuèques, d’un proverbe surtout aussi clair que celui-là.

J’arrive près d’un groupe : « — Bonjour don Rudent, qu’y a-t-il de nouveau ? — Chut, taisez-vous, me dit-il, un doigt sur les lèvres. — Pourquoi me taire ? — Chut, et il se met à regarder autour de lui. — Morbleu, je n’ai pas la pensée de rien dire de mal. — N’importe, taisez-vous. Voyez-vous cet homme enveloppé qui écoute ? C’est un esp…, un mouch… — Ah ! — Qui vit de cela. — On vit de cela chez les Batuèques ? — C’est un homme qui vit de ce que les autres disent, il y en a beaucoup comme cela ; aussi sommes-nous tous réduits ici à ne pas parler ; voyez-nous profondément ensevelis dans nos capes, parlant dans nos collets, nous défiant de nos pères et de nos frères…, on dirait que nous avons tous commis ou allons commettre quelque délit Suivez notre exemple sur ce point, cela vaut mieux que vous ne pensez. »

Y a-t-il chose plus rare ? Un homme qui vit de ce que les autres disent ? Et l’on prétend que les Batuèques ne sont pas industrieux pour vivre ?

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Il va s’édifier un monument qui pourra jeter quel-