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SECONDE LETTRE
ÉCRITE À ANDRÉ PAR LE MÊME BACHELIER

Quel pays, André, que celui des Batuèques ? Que ne promet-il pas ? Tu exiges de mon amitié de continuer à te donner connaissance des particularités de ce climat extraordinaire que je pourrais parvenir à savoir ? Tu as pris goût à ma première épître ? Je te jure alors sur mon honneur, et, ce serment, tu le sais déjà, est, dans ces temps-ci et chez les Batuèques chose sérieuse et sainte ; je te jure sur mon honneur, dis-je, de ne pas penser à m’arrêter avant de t’avoir fait sur cette matière aussi savant que moi.

Tu t’étonnes de peu, cher ami ; ce que j’ai dit n’est rien en comparaison de ce qui me reste à dire. Je t’ai dit qu’on ne lisait ni n’écrivait. Quel sera ton étonnement et ton plaisir quand je te prouverai qu’on ne parle même pas ? Peux-tu concevoir qu’à un tel point arrive la circonspection de cet inculte pays ? Et c’est pour cela qu’on l’appelle inculte ? Hommes injustes ! Vous appelez la prudence, peur, la circonspection, pusillanimité, l’humilité, ignorance. À chaque vertu vous avez donné le nom d’un vice.

Peut-il y avoir rien de plus beau et de plus pacifique qu’un pays où l’on ne parle pas ? Non certainement, et pour le moins il ne peut rien y avoir de plus silencieux. Ici rien ne se parle, rien ne se dit, rien ne s’entend.

Et si l’on ne parle pas, me diras-tu, est-ce parce qu’il n’y a personne pour entendre, ou si l’on n’entend