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celle des calandres, de tirer dans la bande, de ramasser celle qui tombe… de faire crier la presse et de laisser crier l’auteur !

Quant à nous, foi de poètes, si tant est qu’on accorde aux poètes d’avoir au moins de la foi, aujourd’hui qu’ils ont si peu d’espérance, nous leur jurons de ne pas songer à leur faire de procès, car il nous est indifférent que ce soit la divine Astrée qui tire profit de nos comédies, ou le libraire, nous avons même, avec celui-ci, l’avantage qu’il nous donne la gloire, tandis que l’autre ne pourrait nous donner que des soucis et les coquilles vides de l’huître qu’elle aurait engloutie. Que cela leur procure donc joie et santé, à messieurs les traitants aux livres, d’en agir ainsi avec notre génie, de n’avoir qu’à choisir leur genre de vie, ces hauts bonnets de la littérature, tandis que nous sommes… que nous devons nous regarder, dis-je, comme très-honorés et très-contents.

Plût à Dieu que les tribulations du pauvre auteur s’arrêtassent là ! Mais pour laisser de côté le vil intérêt, et entrer dans le champ de la gloire, quel éloquent orateur serait capable d’énumérer les vicissitudes qu’il reste à souffrir pour le maladroit génie, dans sa propre patrie ? Voyez comme sa comédie court de théâtre en théâtre ; de toutes parts elle plaît, mais approchons-nous un peu plus. Ici le coryphée de la compagnie la dépouille de son titre, et lui en donne un autre, car de quoi se mêlent les poètes de donner des titres à leurs comédies ? Là un autre cacique de ces Indiens de la langue lui scalpe une harangue ou lui supprime une scène, car quel acteur si mal qu’il joue, ne doit pas savoir mieux que le meilleur poète quelle est la place des scènes, la longueur des harangues, des dialogues, et toutes les autres