Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/63

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

plutôt que de rehausser un homme généreux, lui jeter l’encensoir au visage.

J’aime mieux, au lever, comme le vigoureux d’Aguino, me verser une fiole à chaque vers contre le sot et le vicieux ; laissant le fracas et l’ostentation de l’enthousiasme métaphorique à celui qui doit jeter ses vers dans la marmite. Je n’ai ni désir, ni ambition ; je me trouve bien de cette honnête médiocrité, dans laquelle l’homme de bien vit indépendant. Et je n’ai pas besoin pour être content de ma journée, qui se doit à mon roi, que son or se soit abaissé à me délier la langue.

Je te renie donc, André, si ta divinité tourne à tous les vents ; j’en conclus que tu seras un vil adulateur. Des vers à celui qui bégaie au berceau ? D’autres vers à celui qui vit, et à celui qui meurt !… Maudit soit qui les fait et qui les lit ! Je prie pour ma part, si j’en voyais importuner le dieu qui nous inspire par des vers qu’un sot m’aurait demandés ; je prie la divinité colère de briser les cordes de la lyre déshonorée, que mon indigne culpabilité aurait vendue à la flatterie ou au mensonge. Et je serai content si, comme juste compensation de ce que j’aurai dédaigné et foulé aux pieds la vérité, elle me condamne à ne plus la dire. Je consens à ce que, la muse qui m’inspire me regardant irritée avec un froncement de sourcils, mes vers apportent le sommeil à leur lecteur. Je veux enfin qu’un moderne Caligula me prescrive pour peine de ma faute d’effacer moi-même avec ma propre langue tous les vers d’adulation que j’aurai écrits.