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il, et il y remplira une ode, d’extravagances. Il invoquera Phoebus, affectant modestie et crainte, car sa harpe d’or ne fut jamais propre à rendre de si hauts sons ; sans omettre de parler du décor, du soleil de l’Espagne, luisante étoile, du peuple en l’air, de son chant sonore, et y fera régner une telle confusion de contentement, de gloire, d’espérance, d’amour, d’horizon, d’éclat, de bonheur, de prospérité, de fortune, d’arc-en-ciel pacifique, de cœurs, de discorde apaisée, et de vengeance, qu’il n’y aura personne capable d’en entendre deux phrases, à moins d’avoir exécuté d’abord, afin de chasser le diable noir, dix exorcismes et signes de croix.

Et j’irai, moi, faire un sonnet, pur fracas ? J’irai vanter en vers vides le souverain, André ? Non, je te le jure… Qu’il n’y ait pas, si l’on veut de solennité sans arlequinade ; mais je sais peu flatter : je suis sincère. La louange s’arrête dans mon gosier. Non pas, pardieu ! que je n’aime et ne vénère le roi ; je m’estime, vive Dieu ! aussi bon vassal que n’importe quel poète boursoufflé. Mais je ne trouve pas mes forces suffisantes, et pour ne pas l’étourdir de sottises, je l’aime en silence, je le respecte et je me tais. Mais si dans le nombre des jours enfin, il en arrivait un, où je dusse l’encenser, rejetant loin de moi tout vieux mot de six pieds, tout en croyant mon humble harpe indigne d’un si insigne honneur : « Bon roi, lui dirais-je, en vers clairs, ces applaudissements que tu entends, cette joie, sont de généreuses marques de gratitude, que vers le trône, Seigneur, ton peuple envoie, ton peuple qui de larmes abondantes, pleure le triste souvenir des antiques gloires, et pour le bien duquel tu ne reposes jamais. Tu as ouvert sur l’Espagne, Seigneur, un nouveau torrent de bienfaits, ton noble caractère l’a