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À cet endroit du dialogue, je mis la main sur ma bourse, disant à part moi : Un jeune homme d’un si bon air ne se fera pas sauter la cervelle pour seize douros ; qui sait ? sa famille n’a peut-être pas mangé d’aujourd’hui ; peut-être quelque malheur… J’allais l’appeler, mais Pepe me prévint en disant : « — Mauvais sujet ! — Je dois cette nuit aller sans faute chez Mme de W***, et je suis sans costume ; j’ai donné ma parole à une personne respectable, je ne puis y manquer. Il me faut en outre chercher un domino pour une mienne cousine, à qui j’ai promis de l’accompagner. » En entendant cela, je rentrai insensiblement ma bourse dans ma poche, moins entraîné déjà par mon ardente charité. « — Est-ce possible ! Livrez-nous un bijou. — Il ne m’en reste pas un seul ; tu le sais : tu as ma montre, mes boutons, ma chaîne… — Seize douros ! — Vois, huit me suffiront. — Je ne puis rien y faire, c’est trop. — Je me contenterai de cinq, je signerai pour seize, et t’en donnerai sur l’heure même un en gratification… — Déjà vous savez que je désire vous servir, mais comme je ne suis pas le maître… Voyons le frac ? » Le jeune homme respira, le courtier sourit ; l’affligé reçut cinq douros, donna l’un d’eux, et signa pour seize, content du marché qu’il avait conclu. « — Dans trois jours je reviens pour cela. Adieu. Jusqu’à après demain. — Jusqu’à l’année qui vient. » Et le spéculateur s’en fut chantant.

Les pas et la ritournelle de l’écervelé frappaient encore mes oreilles, quand, la porte s’ouvrant avec fracas, Mme de H…y en personne, les yeux enflammés, et toute hors d’elle-même, se précipita dans l’intérieur.

« Don Fernand ! » À sa voix un des prêteurs survint. C’était un cavalier d’assez bonne figure et de