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l’Israélite qui avait compromis de cette manière leur bonne renommée, en introduisant des profanes, non initiés, dans le sanctuaire de leur administration.

Il fallut que mon neveu entrât dans la pièce attenante, où on allait chercher la montre à répétition et compter l’argent : pour moi, j’imaginais que cet endroit devait être plus propice aux aventures que le port Lapice lui-même : j’enfonçai mon chapeau jusqu’aux sourcils, j’élevai mon manteau jusqu’aux yeux, je me mis dans un coin obscur, d’où je pusse écouler sans être remarqué, et donnai à mes observations libre facilité de s’égarer partout où il leur plairait le mieux. J’étais ainsi recueilli depuis peu de temps, quand la porte s’ouvrit. Un jeune homme modestement vêtu entra dans le couloir et appela.

« — Pepe, je t’ai inutilement attendu ; t’ayant vu passer, j’ai suivi tes traces. Me voici sans un cuarto ; je n’ai plus de ressources. — Je vous ai déjà dit que pour les habits, c’est impossible. — Un frac tout neuf ! une pelisse peu usée ! cela ne vaut-il pas plus que les seize douros[1] dont j’ai besoin ? — Voyez ces coffres, ces armoires, tout est plein d’habits comme les vôtres ; personne ne vient les retirer ; personne non plus ne veut nous en donner ce qui a été prêté dessus ; — ma pelisse vaut plus de cinquante douros : je te jure de revenir avant huit jours pour elle. — C’est ce que disait le propriétaire de ce surtout qui a passé deux hivers à ce clou ; celle aussi qui nous a apporté ce châle depuis deux carnavals ici ; celle… — Pepe, je te donnerai ce que tu voudras ; vois, je suis compromis ; il ne me reste d’autres ressources que de me faire sauter la cervelle ? »

  1. Quatre-vingts francs.