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de mœurs. « — Oncle, il nous faudra attendre ici. — Qui ? — L’homme qui connaît la maison. — Ne la connais-tu pas, toi ? — Non, seigneur, ces messieurs ne veulent jamais qu’on aille avec eux. — Et on leur confie des montres de cinq mille réaux ? — C’est un honnête courtier qui vit de ce trafic. Le voici. — C’est lui l’honnête courtier ? » Et entra un homme d’environ quarante ans, si tant est qu’on put suivre la trace du temps sur un visage comme doit en avoir un le juif errant, s’il vit encore depuis l’époque de Jésus-Christ. Front coupé de plusieurs balafres et cicatrices, si bien ajustées et espacées de part en part, qu’elles paraissaient plutôt être nées sur cette face, que résulter d’accidents malheureux ; œil visqueux, comme celui d’un homme qui regarde sans regarder ; barbe inculte, et donnant clairement signe de ne pas avoir avec le rasoir tout le commerce et la familiarité qu’exige la propreté ; chapeau moisi faisant office de gouttières ; manteau de ceux qui ne couvrent pas l’être qu’ils enveloppent, avec de nombreux agréments en terre de Madrid ; bottes ou souliers, ce qu’on ne distinguait pas plutôt en boue qu’en maroquin ; ongle d’écrivain ; deux jambes dont l’une au lieu de supporter la charge du corps, servait de poids à celui-ci, et était traînée par lui, d’où l’on eût pu tout à fait appliquer au courtier en question le mot selon lequel tripes emportent pieds, en outre, son de voix métallique, ressemblant à n’importe quel bruit désagréable ; air, enfin, mystérieux et scrutateur. « — C’est là l’homme, cher neveu ? — C’est lui, oncle, donnez-lui la somme, — Inutile, je ne livre pas mon argent de cette façon. — Caballero, il n’aura rien à craindre. — Assurément, car je ne le donnerai pas. » Ici commencèrent de la part de l’honnête courtier dont on se défiait si injustement,