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Tel est mon parent, et selon ma sincère croyance, si son père le voyait, il devrait être aussi entiché de son fils que je le suis, moi, de mon neveu, pour autant de bonnes qualités qu’il y en a de réunies en lui. Mon Joachim connaît cette faiblesse et même a coutume d’en tirer profit.

Il pouvait être huit heures, je m’habillais quand mon domestique entra, et m’annonça mon neveu. « Mon neveu ? mais il doit être une heure. — Non, seigneur, huit heures seulement. » J’ouvre les yeux, étonné, et me trouve face à face avec mon élégant, debout, vêtu, et chez moi à huit heures du matin. « Joachim, toi à cette heure ? — Bonjour, cher oncle. — Vas-tu en voyage ? — Non, seigneur. — Qui te fait lever si matin ? — Moi, me lever matin, oncle ? je ne me suis pas encore couché. — Ah ! je disais aussi ! — Je viens de chez la petite marquise de Penol : le bal vient de finir, et François reporte à l’instant les six dominos qui m’ont servi cette nuit à me déguiser. — Six seulement ? — Seulement. — C’est peu. — J’avais à tromper six personnes. — Tromper ? mauvais sujet. — Je vous aime, cher oncle, depuis longtemps. — Merci, neveu, après. — Bon oncle, j’ai à vous demander un grand service. — Serais-je la septième personne ? — Oncle bien aimé, j’ai quitté maintenant tout déguisement. — Dis le service, et laisse la clef de mon tiroir tranquille. — Les rentes aujourd’hui ne suffisent plus à rien ; il y a tant de bals, tant… en un mot je suis compromis. Vous rappelez-vous la montre à répétition de Breguet, que vous m’avez vue ces jours passés ? — Oui, qui t’avait coûté cinq mille réaux[1]. — Elle n’était pas à moi. — Ah ! — Le marquis de ***

  1. Mille deux cent cinquante francs.