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savent le faire mieux que lui ; il danse comme un disciple de Veluci ; il chante assez pour se faire prier et n’être jamais en voix ; il monte à cheval comme un centaure, c’est un plaisir de voir avec quelle grâce et quelle désinvolture il éclabousse dans les rues de Madrid ses amis et connaissances ; de sciences et d’arts, il ignore ce qu’il faut pour parler de tout en maître. En fait de belles-lettres et de théâtre, ne disons rien de sa capacité, car il est abonné, et s’il n’entend pas la comédie, il paie pour cela, il siffle même d’ordinaire ; de cette façon il donne à entendre qu’il a vu mieux dans d’autres pays, car il a voyagé à l’étranger, en qualité d’homme bien élevé. Toutes les fois qu’il s’entretient avec un Espagnol, il emploie un peu le français et l’italien, quant à l’espagnol il ne le parle pas il le maltraite ; il dit à cela que la langue espagnole est la sienne, et qu’il peut se comporter envers elle selon son meilleur gré. En outre, il ne croit pas en Dieu, car il veut passer pour un homme éclairé ; mais en revanche il croit aux marchands, aux filles, aux amis et aux rufiens. J’oubliais, nous ne parlerons pas de son point d’honneur, celui-ci est tel en effet que pour la moindre bagatelle, parce qu’on l’aura regardé, parce qu’on ne l’aura pas regardé, il envoie un coup d’estoc dans le cœur de son meilleur ami, avec plus d’aisance et de dextérité qu’on en ait jamais connu à aucun spadassin.

Donc, avec cette exquise éducation et de temps en temps le costume de majo, costume entraînant avec lui le : Qu’est-ce que cela me fait à moi ? et le : Je suis là ? Il est, on a pu déjà le deviner, l’un des gerfauts qui tiennent le plus de place à la cour, et figure parmi les ornements de la bonne société de cette capitale et de je ne sais combien de mondes.