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peut être un personnage considéré si l’on n’est pour le moins lourd et titulaire d’un majorat.

Ô temps et âge heureux ! Ne passez jamais ; n’aient jamais les lettres plus de protection[1] ; où ne se fassent jamais de comédies, ne s’impriment de papiers, ne se publient de livres ; que personne ne lise ni n’écrive après sa sortie de l’école.

Que si tu me dis, André, qu’on écrit et qu’on lit, à cause des nombreuses réclames que tu vois de toutes parts, je te dirai de mettre de côté trois bons livres du pays et du jour et de ne faire aucun cas du reste ; car une cascade a beau faire grand fracas, elle n’en est ni plus abondante ni meilleure ; c’est comme pour le bruit des fameux moulins à foulon du chevalier de la Manche, après examen, un peu d’eau sale ; celui-là n’écrit pas enfin qui ne fait encore que des bâtons.

Ainsi donc, en émettant la proposition antérieure, je n’ai pas voulu dire qu’on n’écrivait pas, j’ai voulu dire qu’on écrivait mal ; barbouiller du papier est, je le sais, le péché du moment, péché que veuille Dieu ne jamais pardonner ; je n’ai pas l’intention de nier la triste vérité ; il ne se passe pas de jour, je l’avoue au contraire, que quelque mauvais livre ne se publie ; et cet état de choses me pèse, et ces livres me causent une véritable douleur, tout comme si je

  1. Nous reproduisons les idées de notre premier numéro. Nous pourrions nommer un très-excellent seigneur, ami des lettres et des arts, Mécène des littérateurs et des artistes, et de bon gré nous le nommerions, si nous ne craignions d’offenser sa modestie ; mais si cela suffit à prouver l’existence d’un protecteur, cela ne met pas en évidence la réalité de la protection. Rendons à Dieu ce qui appartient à Dieu, et à César ce qui appartient à César. (Note de l’Auteur.)