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» L’histoire. — J’ai déjà trop d’histoires dans la tête. — Vous saurez ce qu’ont fait les hommes. — Taisez-vous, pour Dieu ! Qui vous a dit que les histoires racontent un seul mot de vérité ? N’est-il pas avéré que personne ne sait même ce qui se passe en sa maison ? »

Puis, pour dernière conclusion : « Regardez, dit l’un, et cessez de me rompre la tête, je jouis d’un majorat et le savoir est pour ceux qui n’ont pas seulement de quoi s’enterrer. — Voyez, dit l’autre, mon oncle est général, à quinze ans, j’ai déjà une épaulette, l’autre viendra avec le temps, et plus encore, sans qu’il me soit besoin de me brûler les yeux ; pour porter un sabre au côté et brosser sa casaque, il ne faut pas une grande science. — Sachez, dit le troisième, que dans ma famille personne n’a étudié, les gens de sang bleu n’ont pas à être médecins ni avocats, ni à travailler comme la canaille… Vous me dites que don un tel s’est fait une belle position par sa science et son savoir ; tant mieux pour lui ! mais qu’était-il quand il étudiait ? Je ne veux pas me dégrader. — Considérez, dit enfin le dernier, à la vérité je n’ai pas de grandes richesses, mais je sais quelque chose, j’ai trouvé dans mon cerveau assez d’expédients pour acquitter les emprunts de ma mère ; un ami jamais ne me fera faute, ni quelque mauvais diable d’emploi. Un buraliste n’a pas besoin d’être professeur à Alcala ou Salamanque. »

Béni soit Dieu, André, béni soit Dieu qu’il ait plu à sa haute miséricorde de nous éclaircir un peu les idées sur ce point. Telles sont les puissantes raisons d’où tire son origine le non-étudier ; du non-étudier naît le non-savoir, et du non-savoir découle indispensablement cette aversion et cette répugnance que