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quelque brochure, quelque comédie… Après s’être informé qui tu es, il aura l’impudence de t’envoyer demander, par un grand laquais harnaché d’une livrée magnifique, de lui prêter pour le lire, à toi auteur qui vit de tes œuvres, un exemplaire de 1 franc 25 cent.[1]. Ce n’est pas tout, il le donnera à lire à ses amis et connaissances, et à son exemple toute la Cour le lira, ni plus ni moins qu’avant la découverte de l’imprimerie, heureux encore s’il ne te demande pas autre chose pour le distraire. Fais-lui cette question : « Pourquoi ne souscrivez-vous pas aux journaux ? Pourquoi n’achetez-vous pas de livres, à crédit au moins ? — Que voulez-vous que j’en fasse ? te répliquera-t-il, à quoi bon acheter ? Ici personne ne sait écrire, rien ne s’écrit, tout cela n’est rien qui vaille. » Comme s’il savait par cœur combien il doit paraître de bons livres.

Ailleurs passe un journaliste. Appelle-le, crie lui : « don un tel, je vous présente un nouvelliste, et morbleu, tout le monde parle de lui d’une manière… — Que voulez-vous ? interrompra-t-il, j’ai un ou deux bons rédacteurs, et ne puis m’occuper de vous pour le moment ; je les paie peu, d’ailleurs, aussi ne suis-je pas surpris s’ils ne font pas tout ce qu’ils peuvent ; je loge l’un, je nourris l’autre. — Ne dites pas cela, morbleu. — Si Monsieur, écoutez-moi, et vous me donnerez raison. Dans un autre temps, ayant réuni quatre savants, je les payai bien, ils me rédigèrent un journal, plein de science et d’utilité ; ce journal ne put se tenir la moitié d’une année, pas un chrétien ne souscrivit, personne ne le lut, ce fut, je puis le dire, un secret que le monde me garda. Donc, comme

  1. En Espagnol : una peseta.