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non. Quant au théâtre, on me donna cinquante douros[1] pour une comédie qui m’avait coûté deux ans de travail, et qui produisit à l’entreprise deux cent mille réaux[2], en moins de temps ; encore crut-on me faire une grande faveur. Voyez ce que ça me faisait par jour. Oh ! et cela après de nombreuses intrigues pour la faire recevoir et représenter. Depuis lors, savez-vous ce que je fais ? Je me suis arrangé avec un libraire pour traduire du français en espagnol les romans de Walter Scott, originairement écrits en anglais, et quelques-uns de ceux de Cooper, qui parlent de marine, matière où je n’entends pas un mot. J’ai douze réaux[3] par feuille d’impression, et le jour que je ne traduis pas, je ne mange pas. J’ai coutume aussi de traduire pour le théâtre la première petite pièce venue, bonne ou mauvaise. Cela est autant payé et coûte moins. Je ne signe pas, et qu’elle aille se faire huer et siffler au théâtre le soir de la représentation. Que voulez-vous ? Dans ce pays on n’a pas le goût de ces choses-là. »

Connais-tu ce petit monsieur qui dépense son bien en attelages et en voitures, le même qui mazurque au bal masqué en pantalon collant et en clac, aujourd’hui en costume diplomatique, demain portant guêtres et chapeau à grands bords, un autre jour traînant son sabre, ou en gilet court et en culotte à bande ? Il mange mille réaux[4] par jour, il en pourrait manger deux mille, il n’a pas un seul livre, il n’en achète pas, il n’en veut pas. Mais publies-tu

  1. Deux cent cinquante francs.
  2. Soixante-deux mille francs.
  3. Trois francs soixante-douze centimes.
  4. Trois cent dix francs.