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fatiguons à lire, ni ne nous ennuyons à écrire dans ce bon pays où nous vivons.

Ô bonheur, d’avoir approfondi l’inutilité d’apprendre et de savoir !

Vois ce libraire richard, auprès de chez toi. Va vers lui, dis-lui : « Que n’entreprenez-vous quelque œuvre d’importance ? Que ne payez-vous bien aux gens de lettres leurs manuscrits ? — Hélas, Monsieur, te répondra-t-il, il n’y a ni gens de lettres, ni manuscrits, ni lecteurs. On nous livre quoi ? Des feuilletons, de petites nouvelles de cent au quart : Et on est d’un orgueil, on se fait prier… Non, Monsieur, non. — Mais la vente ? — La vente ! Je ne vends pas un livre : Personne ne les trouve agréables ; j’en ai la maison pleine… Si c’étaient des billets pour l’opéra ou les taureaux… »

Vois-tu passer cet auteur efflanqué, connu de tous ? C’est, dit-on, un homme de mérite. Aborde-le, demande-lui : « Quand mettez-vous au jour quelque chose ? Allons… — Taisez-vous, pour Dieu, te répondra-t-il furieux comme si tu blasphémais ; je commencerais par brûler mon œuvre. Il n’y a pas deux libraires, hommes de bien. Tous usuriers ! Tenez, l’autre jour, on m’offrit une once[1] pour la propriété d’une comédie extraordinairement applaudie, six cents réaux[2] pour un dictionnaire manuel de géographie ; et pour un abrégé de l’histoire d’Espagne en quatre volumes, ou mille réaux[3] d’un coup, ou le partage des bénéfices, après que le libraire serait rentré dans ses frais, bien entendu !!! Non, Monsieur,

  1. Quatre-vingts francs.
  2. Cent quatre-vingt-six francs.
  3. Trois cent dix francs.