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de vanité, le très-bon… mais d’ailleurs, André, tu le connais bien.

Vois-tu cet autre là qui se montre sur la grève, avec un lorgnon, des chaînes, une laisse à lévriers derrière lui, un haute-forme, et dissipe la fortune d’un roi, faisant merveille ? Or celui-ci doit le frac dont il est vêtu et son pardessus à un tailleur de cette ville, son cheval au marchand, son logement à Ernest, ses repas à l’hôtel, cent sorbets au café, sans compter les cigares. Et tandis qu’en prison mille pauvres hères meurent de détresse pour un duro, il erre libre à l’abri des recors ; car il est comte et seigneur, et, quoiqu’il trouble l’ordre par sa manière de vivre, il se moque insolemment des lois et de la justice.

Quelle est cette femme qui fend la foule, enfouie sous un nuage de dentelles et de diamants, et semble une sultane de l’Orient ? C’est une fille de hautes qualités ; un intendant, quoique tu la voies sans compagnon, entretient la maudite et ses amants. Sa mère, à sa droite, hargneuse, laide, vieille, peinte et portant perruque, vendit à un infâme prix sa virginité première. Est-ce possible ? Quelle horreur ! N’y a-t-il personne dans les rues pour l’appeler à haute voix : hideuse sorcière, n’y a-t-il pas de charriot à Madrid qui la réclame ?

Et tu ne veux pas, André, que le fouet tendu ronfle et claque dans un cloaque qui surpasse Sodome et Gomorrhe ? Parce qu’une nuée de feu, opaque et tonnante, ne fait pas ici pleuvoir ses foudres, tu voudrais que je ne verse pas mon fiel ?

Quelle est cette face qui soupire, geste parfumé, cheveux blonds, fine taille, et minauderie de senora ? Est-ce un homme ou une femme ? Foulant le sol d’un pied délicat et mignon, le mouchoir aux couleurs