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voir s’il te répondra. C’est un joueur ; noble métier ; il tient du chandelier qui le sustente non pas un comté réel, mais un bénéfice. Là sont les héritages dont il s’enorgueillit, là vivent le grapin et l’emplâtre, là sa maison et son honneur sont mis en vente.

Vois-tu cet autre à l’occiput dressé, qui lui aussi sait, sans emploi, vivre dans l’opulence ? C’est un crampon. Sans lui jamais de noce ni de baptême, ni d’ambigu, ni de bal ; sans lui ni banquet, ni partie de chasse, ni délassement. Il rencontre quelqu’un dans la rue, l’arrête, le questionne, le harcèle, se fait à la fin inviter par lui à dîner ; et ne pense pas le rassasier avec un poulet, car c’est une engelure, quoiqu’il te récite en dînant un poème d’un bout à l’autre. Car il possède aussi ce talent ; et il n’y a de flegme capable de souffrir les sonnets qu’il t’entasse entre deux pots de crème. Il parle de tout, infatigable, il tranche, il fend, lançant une épigramme à chacun ; comme ce ne sont pas ses vers, tout est feu de paille.

Quel est celui-là, qui hier encore, fait comme un vagabond, passait, débauché et déguenillé, sur le Prado, et, raide aujourd’hui, ne salue personne ! Pardieu, je sais qui c’est ! Un homme de bien qui entraînant la donzelle à la hâte, l’épousa pour un seigneur haut perché. Au lieu de lui donner la hart, on lui donna une fortune, il mange deux mille douros[1] de rente, roule carrosse, et se présente à vous sans vergogne comme père d’un fils qui naquit six mois après son mariage avec l’honnête dame. Le voici, parlant d’honneur ; il se dira parent des Meneses, des Suincores, et le second d’une lignée de marquis. Je suis homme d’honneur, te dira-t-il tout haut, car il crève

  1. Dix mille francs.