Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour le bien du public. Le magistrat couche en jugeant l’innocence pour le bien du public. Le tailleur, le libraire, l’imprimeur, taillent, impriment et frustrent pour le même motif ; il n’y a pas enfin jusqu’au… Mais à quoi bon m’épuiser ? Moi-même je dois avouer que j’écris pour le public sous peine de confesser que j’écrive pour moi.

Et en second lieu je conclus : Qu’il n’existe pas de public un, invariable, juge impartial, comme on le prétend ; que chaque classe de la société a son public particulier dont les traits, les caractères divers et même hétérogènes constituent la physionomie monstrueuse de ce que nous appelons le public ; que celui-ci est capricieux et presque toujours aussi injuste et partial que la plupart des hommes qui le composent ; qu’il est intolérant en même temps qu’endurant, routinier en même temps que partisan du progrès, quoiqu’il semble y avoir là deux paradoxes ; qu’il préfère sans raison ; qu’il se prononce sans bon motif ; qu’il se laisse entraîner par des impressions passagères ; qu’il aime avec idolâtrie sans savoir pourquoi ; qu’il hait à mort sans cause ; qu’il est méchant et mal intentionné ; qu’il se plaît dans la mordacité ; que pour l’ordinaire siégeant en masse et réuni, sa manière d’être est fort distincte de celle de chacun de ces individus en particulier ; que la médiocrité intrigante et charlatane est d’habitude sa favorite, le mérite modeste l’objet de son oubli et de son mépris ; qu’il perd avec facilité et ingratitude le souvenir des services les plus importants, et récompense avec usure celui qui le flatte et le trompe ; et enfin que nous voulons avec grande déraison le confondre avec la postérité, qui presque toujours révoque ses sentences intéressées.