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les lois et avec la justice ? Est-ce celle qui condamne au blâme éternel l’homme juste refusant d’aller sur le terrain verser son sang pour le caprice ou l’imprudence d’un autre, qui peut-être vaut moins que lui ? Est-ce celle qui au théâtre et dans la société bafoue les créanciers pour le plus grand bien des escrocs, et marque de l’opprobre l’existence et le nom du mari qui a le malheur d’avoir une folle ou autre chose de pire pour femme ? Est-ce celle qui honore et encense celui qui vole beaucoup sous le nom de seigneur ou de héros, et sanctionne la mort infamante de celui qui vole peu ? Est-ce celle qui fixe le crime dans la populace, celle qui met l’honneur de l’homme dans le tempérament de sa moitié, et la raison dans la pointe incertaine d’un fer affilé ?

À quoi sert, donc, que pour se gagner l’opinion de ce public l’écrivain studieux et intrépide se brûle, toute sa vie, les yeux sur son pupitre que l’auteur infatigable passe ses jours dans le même but à gesticuler de la tête et des mains ? À quoi sert pour mériter ses éloges que le soldat entraîné s’expose à la mort ? Sur quoi se fondent tant de sacrifices pour la renommée qu’on attend de lui ? La seule chose que je conçoive, que je m’explique parfaitement, c’est le travail, l’étude s’ingéniant à lui tirer ses sous.

Cependant l’heure du coucher arrive, je me retire pour coordonner mes notes de la journée, je les lis de nouveau, et je conclus de mes observations :

En premier lieu, que le public est le prétexte et le couvercle des visées particulières de chacun. L’écrivain dit qu’il barbouille du papier, et pour le bien du public, lui soutire son argent, tout en étant plein de respect pour lui. Le médecin bénéficie de ces cures équivoques, et l’avocat de ses procès perdus