Page:Larra - Le Pauvre Petit Causeur, trad. Mars, 1870.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

savent pas les versifier. » Celui-ci crie : « Où est le vers, l’imagination, la fécondité de nos anciens auteurs dramatiques ? Tout cela est froid, fort insipide, forme glaciale ; le classicisme est la mort du génie. » Celui-là vocifère : « Dieu merci, voilà des comédies régulières et morales ! L’imagination de nos antiques était déréglée : qu’avaient-ils ? Des hommes cachés, des femmes voilées, des embrouillaminis interminables et monotones, des estafilades, de gracieux importuns, la confusion des classes, des genres ; le romanticisme est la perdition du théâtre ; il ne peut être fils que d’une imagination malade et délirante. » Quand j’eus entendu cela, quand j’eus été témoin de cette discordance d’avis, à quoi bon, me dis-je, me fatiguer à de nouvelles recherches ? Latorre ici a un parti considérable, Luna pourtant sur les mêmes planches est aussi applaudi, j’y cherche en vain un goût arrêté, fixe ; sur la même scène les détracteurs de la Lalande ont jeté des couronnes à la Tossi, les passionnés de la Tossi ont déprécié, détrôné la Lalande, il me faut renoncer à mes espérances. Mon Dieu ! où est-il ce public si indulgent, si éclairé, si impartial, si juste, si respectable, éternel dispensateur de la renommée, dont on m’a tant parlé ; dont l’arrêt est irrécusable, constant, dirigé par un bon goût invariable, qui ne connaît d’autre règle ni d’autres lois que celles de ce sens commun dont si peu sont doués ? Peut-être le public n’est-il pas venu au théâtre ce soir ; peut-être n’assiste-t-il pas aux spectacles.

Je réunis mes notes, et plus indécis qu’avant quant à l’objet de mes perquisitions, je vais m’informer auprès de personnes plus éclairées que moi. Un auteur sifflé me dit, quand je lui demande qui est le public :