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quand il fait rimer voiles avec vendait, tellement il est sûr qu’à son génie seul il est réservé d’ouvrir des routes inconnues ! Cela me remet en mémoire autre chose, un cas très-connu de ce jeu de gages dans lequel il faut trouver des mots commençant par une même lettre[1] ; le g était sur le tapis, quelqu’un avait dit guitare. « À vous le tour, à présent, mademoiselle », dit le conducteur du jeu à la personne suivante ; celle-ci prit un ton câlin et répondit à la hâte violon, puis se tut de l’air satisfait et dégagé de quelqu’un qui vient de se tirer triomphalement d’une grande difficulté.

Une rime à voiles… Allons don Clément, en oiles ? En oiles ? Vendait[2] ! Bravo, don Clément ! Voyez-vous ? Nous voilà hors d’affaire.

Encore un souvenir ; c’est un petit conte que me narrait mon maître : un poète neuf, comme Votre Honneur seigneur don Clément, devait faire une ode à un sien ami, auquel on venait d’administrer les sacrements ; ayant vu que dans les odes il y a d’habitude des vers petits, et d’autres grands, il s’était dit : « Si c’est tout, je ferai des odes aussi. » C’est ce qui sera arrivé à Votre Honneur avec les tercets ;

  1. Trouver des mots commençant par une même lettre : cette périphrase est la traduction de ces mots : apurar la letra ; mot à mot : épuiser la lettre.
  2. Les mots espagnols sont velas et vendaba. Le premier veut bien dire voiles, mais le second n’a jamais signifié vendait. Cependant le sens général n’en souffrant aucunement, j’ai cru d’autant mieux pouvoir me permettre de rendre par le français vendait l’espagnol vendaba, que d’un côté la seule valeur de celui-ci dans le cas présent est celle de son v initial et qu’il m’était de l’autre impossible de trouver un mot remplissant cette condition parmi ses équivalents français.