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Yepes, où le Valdepenas meut les langues de l’assistance, comme l’air meut la voile et l’eau la roue du moulin ; déjà les épaisses vapeurs de Bacchus commencent à monter à la tête du public, qui ne s’entend plus lui-même. Je suis sur le point d’écrire sur mon livret d’annotations : « Le respectable public s’enivre » ; mais heureusement la pointe de mon crayon se casse dans une si déplorable circonstance, et l’endroit n’étant pas propice pour le tailler, mon observation et ma loyauté restent dans mon sein.

Une autre sorte de gens s’occupe pendant cela à faire du bruit dans les salles de billards et passe les nuits à pousser les boules, je n’en parlerai pas, car c’est là, de tous les publics, celui qui me paraît le plus stupide.

Le théâtre s’ouvre, et à cette heure, je me figure que je m’en vais sortir du doute pour toujours, et connaître une bonne fois le public pour son indulgence mesurée, son goût éclairé, ses décisions respectables. Cette maison paraît être la sienne, le temple où il prononce ses sentences sans appel. On représente une comédie nouvelle ; une partie du public l’applaudit avec fureur. C’est sublime, divin, rien ne s’est fait de mieux depuis l’époque de Moratin : une autre la siffle impitoyablement ; c’est un amas d’absurdités et de sottises, rien ne s’est fait de pis depuis Cornella jusqu’à nos jours. Les uns disent : « Elle est en prose et me plaît rien que pour cela ; les comédies sont l’imitation de la rue ; on doit les écrire en prose. » Les autres : « Elle est en prose et la comédie doit s’écrire en vers, car elle n’est autre chose qu’une fiction pour flatter les sens ; les comédies en prose sont de petits proverbes bourgeois, et si beaucoup les écrivent ainsi, c’est parce qu’ils ne