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lui reste pas un souffle de vie. Qu’il repose en paix.

» Telle fut la mort de mon seigneur le Bachelier, que je pleurerai jusqu’à l’heure de la mienne.

» Lui mort, il fallut visiter ses papiers ; mais nous trouvâmes à moitié brûlée une grande liasse qui les contenait ; il avait essayé, pensâmes-nous, dans ses derniers moments, de les réunir et de les jeter au feu, les forces lui avaient manqué sans doute ; divers fragments restaient donc entiers ; le public les connaîtra peut-être un jour s’ils arrivent à tomber dans les mains de quelque éditeur assez scrupuleux pour les purger du grand désordre qui doit nécessairement y régner. L’idée de les brûler nous fit supposer que son repentir avait été véritable et sa rétractation sérieuse.

» Je ne dirai rien de l’enterrement, il fut très-ordinaire, je ferai savoir seulement que personne n’osa y prendre la parole, nous regardions tous au contraire le cercueil attentivement, pour voir s’il parlerait encore, tout mort qu’il était.

» Je suis, sur ce, seigneur don André de mon âme, tout à vous, l’écrivain privé plus affligé que ne fut jamais aucun écrivain public. Recommandez à Dieu, je vous prie, le seigneur Bachelier qui était tant votre ami et considérez comme votre serviteur.

» L’ex-secrétaire du Bachelier. »

Telle fut la lettre ; il est mort, celui qui disait la vérité, il est mort en laissant tout à dire ! N’avais-tu pas, ô mort, quelque inutile sourd-muet à substituer à une si intéressante victime ? Qui nous dira désormais que tout est déraison aujourd’hui sur la terre ? Qui nous dira qu’un sot est dans le monde un homme d’esprit et que la plupart ne sont que des sots hom-