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gées par sa conscience, je ne dis pas, vous devez le penser, de bon chrétien, mais de chrétien, car je sais qu’il l’était. Ces dispositions prises, nous l’avions laissé pour cela un long moment seul et recueilli, il nous appela tous, et dès qu’il nous vit autour de lui :

« Mes enfants, dit-il d’une voix bien différente de celle qu’il avait d’ordinaire quand il parlait clair, car, il est bon d’en avertir, à son dernier moment on l’entendait à peine, mes enfants, je vous réunis afin d’éviter que l’on m’accuse d’être mort sans m’y être en aucune façon préparé, sans avoir déclaré ma véritable façon de penser, qui, si ce n’est pas la bonne, je n’en puis rien savoir, sera au moins la dernière ; sachez-le, j’eus en effet différentes manières de penser, et j’en aurais eu d’autres encore si la mort m’en avait donné le temps ; mais je la sens venir, et tenez, la voici, elle me prend à la gorge. Je ne veux pas non plus que l’on dise : il est mort sans faire ouff, après avoir vécu exclusivement de paroles ; ce fut en effet là mon défaut.

» Quant à des biens, vous le savez suffisamment, chers amis, je n’ai rien à laisser que le monde où j’ai vécu, et Dieu le sait bien, ce n’est pas moi qui le laisse, le mal qui me tue me force seul à le laisser. Je n’ai pas besoin non plus de faire aucune déclaration de pauvreté, car j’étais poète, c’est de notoriété publique, je me suis dédié aux lettres dans ce pays depuis ma plus tendre enfance, je fus homme de bien et d’honneur, point intriguant, point flatteur ; quant à des gains ou profits venant d’une source quelconque, je n’en ai jamais eu, pas plus que de femme attachée, de fille dévouée ou le paraissant, d’oncle archevêque, de père conseiller d’État. Ainsi, comment pourrais-je être riche ?