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tant sur le genre classique et le romantique, le vers antique et la prose moderne.

Ici, quatre poètes tout à fait brouillés avec le diapason s’adressent mille épigrammes envenimées, mettant en question le point peu traité de la différence entre la Tossi et la Lalande, et n’envoient pas les chaises au visage par respect pour l’inviolabilité du café.

Là, quatre vieux chez qui la source du sentiment est épuisée, avares pour ainsi dire de leur époque, sont d’accord sur ce que les jeunes gens du jour sont perdus, opinent qu’ils ne savent pas sentir comme on sentait de leur temps, et font fi de leurs essais, sans avoir seulement voulu les lire.

Plus loin, un journaliste sans journal et un autre journaliste de journaux interminables, incapables l’un et l’autre d’écrire des articles supportant la lecture, trouvent un procédé infaillible pour rédiger une feuille qui remplisse leurs goussets par son retentissement, et se préconisent l’un à l’autre l’importance que tel ou tel article, tel ou tel feuilleton doit avoir dans le monde qui ne les lit pas.

Et de toutes parts de nombreux rodomonts, ne sachant rien, discutent surtout.

Je vois tout cela, j’entends tout cela, et trace avec mon sourire propre d’un pauvre homme, et avec le pardon de celui qui me juge : « Le public éclairé aime à parler de ce qu’il ne comprend pas. »

Je sors du café, je parcours les rues, et ne puis me dispenser d’entrer dans les cabarets et autres maisons publiques ; un concours immense de paroissiens endimanchés s’y agite, collationnant en buvant, et y trouble l’air de sa bruyante allégresse ; tous ces établissements regorgent de monde, dans tout le