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mait en vérité beaucoup ; et en ce qui touche le poisson mourant par la bouche, il tenait autant du poisson, concluait-il, qu’un Batuèque d’un chrétien. Ainsi pas moyen de l’ébranler. Vous voyez bien qu’un homme pour qui n’ont aucune autorité des proverbes légitimés par leur ancienneté, est un homme perdu. Il devait parler et il parla.

» Et le pis ne fut pas qu’il parlât, seigneur don André, car enfin s’il avait toujours parlé à cent lieues de ses interlocuteurs, comme il le fit dans le principe, bonté du ciel ! que de choses ne peuvent pas se dire ou peuvent se dire seulement de fort loin ! Mais, loin de moi, le seigneur Bachelier voulut faire le fanfaron ; parmi les Batuèques, apprit-il, tous n’étaient pas flattés des éloges qu’il faisait d’eux et que toujours il avait faits ; quatre lecteurs de mauvaise foi torturaient ses expressions et les pressaient jusqu’à en faire sortir tout ce qu’elles pouvaient contenir d’amer. Voyez un peu l’injustice ! Dieu sait, et je le sais aussi d’ailleurs, si jamais l’intention du seigneur Bachelier fut de mal parler de son pays ! Jésus ! Dieu nous sauve ! il l’aimait plutôt comme un père aime son fils ; bien évidemment une telle tendresse n’est pas incompatible avec un total de quatre bourrades plus ou moins au bout de l’an. Outre qu’il était fort bien intentionné, d’une pâle admirable et étrangère à toute malice, tout ce qu’il disait, il le disait de bonne foi, et comme il le sentait. Certes il n’aurait voulu offenser personne, aimant son prochain presque autant que lui-même ; toute la difficulté consistait pour lui d’ordinaire à distinguer qui était son prochain, car, vous devez le savoir, ce n’était pas, à ses yeux, le premier venu. Le cas advint donc, et prenez patience avec mes digressions, jamais en effet je ne suis arrivé à écrire