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Plus de doute enfin ; je parcours le pli funeste, et la lettre suivante de l’infortuné secrétaire du Pauvre petit Causeur déroule à mes yeux les horribles détails d’une si épouvantable catastrophe.

« Seigneur don André Niporesas, au risque de n’être pas cru de vous que je sais de fort bonne source ne croire en aucune chose passée ou future, en quoi vous agissez comme un homme expérimenté et sachant combien ses semblables vivent de mensonge, je ne doute pas un moment que vous ne preniez intérêt au malheur qui, le jour et la nuit, fait de cette maison la sienne, et même d’une grande partie déjà des Batuèques, une mer de larmes.

» Bien vous savez, et vous le savez mieux que personne, que mon maître le seigneur Bachelier auquel Dieu pardonne, suait le besoin de parler par tous les pores, et vaille que vaille cette petite phrase. Ne furent assez forts, vous le savez, pour lui lier la langue, ni les égards dus aux sots en tout pays à peu près civilisé, ni les succès de la déraison fréquents chez nous, ni les cris de sa famille, cris poussés par nous tous vers le ciel, en suppliant notre maître de ne pas se mêler de bavardages et en accumulant dans ce but un nombre infini de proverbes comme par exemple : le bon silence a nom Sancho ; chacun chez soi et Dieu pour tous ; le poisson meurt par la bouche ; et autres également significatifs : moi surtout, vous le savez de reste, je n’en manque pas, étant Castillan de naissance et Batuèque de profession ; mais à tout cela mon maître faisait la sourde oreille ou répondait d’une manière victorieuse : quant au premier, par exemple, il ne tenait pas, disait-il, à ressembler à Sancho ; au sujet du chacun chez soi, il n’était sûr ni d’avoir un chez soi, ni d’être chacun ; à l’égard de Dieu il l’ai-