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Didon sa mauvaise foi ? Que valurent ses sciences à la ville de Minerve ? À la cour de Zénobie ses hauts monuments ? À la capitale du monde sa rigueur républicaine et ses fortes murailles ? Le temps détruisit tout ! Et il ne pourrait détruire un causeur ?

C’est au milieu des larmes et des angoisses que j’écris ces tristes lignes ; peut-être la postérité les lira-t-elle, mais si la postérité ne les lit pas, car on ne sait rien de certain de la postérité, que du moins nos contemporains les lisent.

Un mouchoir à la main, la joue appuyée dessus, les cheveux en désordre, les yeux noyés de larmes, les traces de douleur sur mon front, me voilà ; disciple d’Apelles peins mon désespoir, si les pinceaux sont capables de peindre la plus grande douleur que jamais ni mortel ni André ne sont arrivés à souffrir.

Trêve enfin aux sanglots ; que ma plume coure sur le papier ; qu’elle scelle en noirs caractères et consigne dans l’éternité un si funeste événement.

Il y a deux heures à peine j’attendais le courrier… la joie brillait dans mes yeux ! Des nouvelles des Batuèques ! m’écriai-je. Combien l’homme est sujet à l’erreur ! Arrive un exprès à toute vitesse ; ma main tremblante hésite à rompre le cachet noir… et… Quelle horreur ! Le Bachelier… est mort ! De quelque traîtresse pulmonie ? Non, ce n’était pas un coup d’air qui devait emporter un causeur. D’une apoplexie foudroyante ? Un pauvre petit ne meurt pas d’apoplexie. Mourut-il de raison ? Mourut-il de vérité ? Mourut-il de quelque bastonnade ? Mais bah ! sa destinée était de donner des coups et non d’en recevoir. Se heurta-t-il à quelqu’un plus causeur que lui ? Mourut-il d’une indigestion de paroles ?