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veux, d’un excellent beefsteak préparé à l’hôtel de Genieys. Veux-tu entendre Sémiramis ? — Es-tu fou, Asmodée ? Sémiramis ? — Oui, regarde-la, c’est une excellente connaisseuse de la musique de Rossini. Trouves-tu qu’elle ait bien chanté cet adagio ? Car c’est la veuve de Ninus ; déjà elle expire ; et à l’imitation du cygne, elle chante et meurt. »

Puis nous entrâmes justement au bal masqué. Arrivé là, je sentis un léger coup sur l’une de mes joues. Asmodée ! criai-je. Une profonde obscurité, un profond silence m’enveloppaient de nouveau. Asmodée ! voulus-je crier encore ; mais l’effort que je fis pour cela me réveilla. L’imagination encore pleine de mon voyage nocturne, j’ouvre les yeux, et me vois entouré des costumes de tous les pays et de toutes les professions, accumulés dans un étroit espace ; un Chinois, un marin, un abbé, un Indien, un Russe, un Grec, un Romain, un Écossais… Cieux ! Qu’est-ce ceci ? La trompette finale a-t-elle résonné ? Les hommes de toutes les époques et de toutes les zones de la terre se sont-ils réunis à la voix du Tout-Puissant, dans la vallée de Josaphat ? Peu à peu je reviens à moi, et au grand ébahissement d’un Turc et d’une nonne entre lesquels je me trouve, je m’écrie avec toute la philosophie d’un homme qui n’a pas soupé, et selon les expressions d’Asmodée, qui, frappent encore à mes oreilles : « Le monde entier est mascarade, toute l’année est carnaval. »