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Horrible nudité ! — Plus d’une a fasciné tes regards dans quelque réunion ; tu aurais dû la voir dans cet état pour te guérir de mainte folie.

« Quel est celui-là plus loin ? — Un homme qui parmi vous passe pour un sensé ; tous le consultent ; c’est un célèbre avocat ; sa bibliothèque est le déguisement dont il se sert pour vous tromper. Ses livres en main, il vient d’assurer à un plaideur que son procès est imperdable ; le client est sorti ; vois-le maintenant fermer ses livres, de la même façon que tu jetteras ton masque quand tu seras arrivé chez toi. Remarques-tu son malin sourire ? Il semble dire : venez ici, sots ; donnez-moi votre or, je vous donnerai des avis, je vous ferai des phrases. Demain je serai juge ; je serai l’interprète de Thémis. Ne dirait-on pas voir le fou de Cervantes, qui se croyait Neptune ?

« Tourne-toi de ce côté : c’est un moribond. Entends-tu comme il se repent de ses péchés ? S’il revient à la vie, il reprendra ses mœurs passées. À son chevet est un personnage bien mis, une canne dans une main, une ordonnance dans l’autre : Suis-là, ou je te condamne. Voici la santé, semble-t-il dire à l’agonisant, je connais les maux, je les guéris ; observe avec quel sérieux il s’énonce ; c’est comme s’il croyait lui-même à ses paroles, comme s’il tenait en main la vie qui échappe à l’infortuné. Il n’y a plus de danger, dit-il en sortant ; puis il monte dans son carrosse ; entends-tu le claquement du fouet ? — Oui. — Or entends aussi le dernier soupir du moribond, qui part pour l’éternité, tandis que le docteur court enjôler quelque autre par son déguisement de savant.

« Viens dans cet autre quartier. — Qu’est-ce cela ? — Un deuil. Vois-tu ces visages si contrits ? — Oui ! — Regarde les avec cette lunette. — Cieux ! La joie