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fatigue. Là je m’étendis, je mis mon loup afin de pouvoir dormir sans éveiller les remarques de personne, et, tandis que mon imagination se balançait entre mille idées opposées, produites par la confusion de sensations qu’on éprouve dans un bal masqué, je m’endormis, non toutefois aussi tranquillement que je l’eusse désiré.

Les physiologues savent mieux que personne, dit-on, que le songe et le jeûne, le jeûne prolongé surtout, prédisposent l’imagination débile et échauffée de l’homme aux visions nocturnes qui viennent prendre dans notre irritable fantaisie des formes corporelles, tandis que nos paupières sont alourdies par Morphée. Plus de quatre de ceux qui ont passé ici-bas pour avoir vu réellement ce qui réellement n’existe pas, ont dû au sommeil et au jeûne leurs étonnantes hallucinations. C’est précisément ce qui m’arriva à moi, car enfin, selon l’expression de Térence, homo sum et nihil humani a me alienum puto. À peine avais-je cédé à la fatigue, qu’il me sembla me trouver dans une profonde obscurité ; le silence régnait autour de moi ; peu à peu une lueur phosphorescente surgit, se faisant lentement passage au milieu des ténèbres, et une cornue magique vint d’elle-même s’approcher mystérieusement de moi, comme un éclatant météore. Elle était d’abord hermétiquement fermée, mais son bouchon sauta ; un torrent de lumières jaillit de son col ouvert, puis tout rentra dans l’ombre. Alors une main froide comme du marbre se posa sur la mienne, une sueur glacée m’inonda ; je me sentis frôlé par la robe d’un follet qui se mouvait à côté de moi, et une voix semblable à un léger souffle me dit, d’un accent qu’aucune langue humaine ne saurait dépeindre : Ouvre les yeux, Bachelier, et si je t’inspire quelque