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dans un local incommode (je parle de n’importe quel restaurant de Madrid), obstrué, mal décoré, à des tables étroites, sur des nappes communes à tous, s’essuyant la bouche avec des serviettes plus sales encore que grossières, — où d’autres se la sont essuyée une demi-heure avant ; dix, douze, vingt tables, à chacune desquelles mangent quatre, six, huit personnes, sont servies seulement par un ou deux garçons, bourrus, mal embouchés, et avec le moins de politesse possible ; les plats, les sauces sont les mêmes, ce jour-là que le précédent, celui d’avant et toute la vie. Les voisins sont grossiers et mal élevés ; il est impossible de parler librement à cause d’eux ; la boisson ressemble moins à du vin qu’à de l’eau rougie ou à une décoction abominable de campêche. Après m’être demandé dans mon collet : « Quels attraits peuvent amener le public à manger dans les restaurants de Madrid ? » Je me réponds : « Le public aime à manger mal, à boire pire, et abhorre la commodité, la propreté et la beauté du local. »

Je me rends à la promenade, et en fait de promenades, il me paraît difficile de rien décider touchant le goût du public ; car si à la vérité une foule nombreuse, pleine d’affectation, obstrue le quartier du Prado et les rues aboutissantes, ou arpente de long en large le Retiro, une autre foule plus simple visite les cages des animaux, se dirige vers la rivière, ou revient à la ville par les chemins de ronde. Je ne sais lequel vaut mieux. Néanmoins j’écris : « Un public sort le soir pour voir et être vu, pour continuer ses intrigues amoureuses ou en commencer d’autres, pour faire l’important auprès des voitures, pour se marcher sur les pieds, pour étouffer dans la poussière ; un autre public sort pour se distraire ; un autre