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adopté, voyez comme il trompe, comme il intrigue, comme il s’insinue, comme il vole… Quel soin Julianita met à ne pas paraître ce qu’elle est ! et c’est pour cela seul qu’elle couvre son visage d’un autre de carton ! Craint-elle que ses traits dénoncent son âme ? Qu’elle aille en paix ; elle n’a pas besoin de loup. Voyez-vous sa figure angélique ? Que de suavité ! Que d’attraction ! Combien son commerce doit être facile ! Tout cela ne peut cacher aucun vice. — Regardez-là à l’intérieur, observateurs de superficies : il n’y a pas de jour qu’elle ne trompe un nouveau prétendant, versatile, infidèle, parjure, fière, envieuse, inabordable pour les siens, insupportable et hautaine avec son époux : telle est la beauté parfaite, dont le vrai visage vous trompe plus que son faux. Voyez-vous cet homme si aimable, si courtois, si poli envers les dames en société ? Quelle déférence ! Quelles prévenances ! Combien il doit être soumis ! Mais ne va pas pour cela en faire ton époux, enchanteresse Amélie ; c’est un tyran grossier pour celle qui lui livre son cœur. Sa face est aussi plus perfide que son masque ; celui-ci ne t’expose pas à un équivoque, car tu ne juges rien d’après lui ; mais l’autre !… imparfaite disciple de Lavater, tu crois pouvoir en faire ta clef, mais elle ne peut être qu’un guide perfide, qui le livre à ton ennemi.

Le lecteur présumera bien que, pour m’adonner à ces réflexions métaphysiques, quelque chagrin très-grand devait m’affliger ; car jamais l’homme n’est plus philosophe que dans ses mauvais moments ; celui qui n’a pas le bonheur a recours à la philosophie, comme un homme sans cheveux à son toupet : la philosophie est pour l’infortuné comme une perruque pour un chauve, dans les deux cas l’un et l’autre se figurent qu’ils