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La nuit ne laissa pas non plus d’avoir pour moi quelque contre-temps. Je m’étais emparé de la bien-aimée d’un autre ; en juste compensation un autre s’était emparé de mon manteau, qui, sans doute, ressemblait au sien, comme mon domino avait ressemblé à celui de l’infortuné préféré. « Te voici vengé, m’écriai-je, d’avoir été trompé, pauvre garçon. » Heureusement qu’en laissant mon manteau à la porte j’avais eu la prévoyance de me séparer tendrement de lui pour toute ma vie. Ô précaution opportune ! Assurément nous ne devions plus nous rencontrer, mon manteau et moi dans ce monde éphémère ; j’étais sorti de la maison, j’avais marché longtemps déjà, et de moment en moment, je retournais encore la tête vers les hautes murailles, comme Hector en quittant son Andromaque, en disant à part moi : « C’est là que mon bien est resté, c’est là que je le laissai, là que je le vis pour la dernière fois. »

Nous parcourûmes d’autres maisons, partout c’était le même programme : nulle part nous ne nous étonnâmes de rencontrer des intrigues amoureuses, des mères délaissées, des époux joués, des amants empressés ; je ne suis pas de ceux qui ne s’occupent point du geste d’une bonne cantatrice, ou louent la voix d’un mauvais comédien, et ne vais pas par conséquent chercher la vertu dans les mascarades. Mais jamais je ne suis arrivé à comprendre la passion que, pour aller au bal tant de jours de suite, manifestait don Cleto, qui faisait de sa chaise un lit et trouvait le tumulte un gazouillement : je n’entends pas non plus don Georges quand il dit qu’il vient de la fête où je le vis depuis son entrée jusqu’à sa sortie auprès d’une table, dans un véritable écarté. Toute la différence cette nuit-là et les autres, consistait pour lui à gagner ou perdre