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n’y a pas d’affaire que je pourrais terminer aujourd’hui que je ne laisse pour demain, je te rapporterai que je me lève à onze heures, que je fais la sieste, que je passe sept ou huit heures de suite à faire le cinquième pied d’une table de café, parlant ou ronflant comme un bon Espagnol ; je t’ajouterai qu’à la fermeture du café je me traîne lentement à ma société journalière (car par paresse je n’en ai qu’une où aller) et que là un cigare après l’autre me pousse, cloué sur ma chaise et bâillant sans relâche, jusqu’à minuit ou une heure du matin ; que nombre de nuits je ne soupe, pas par paresse, que par paresse je ne me couche pas ; enfin, lecteur de mon âme, je te déclarerai que parmi toutes les fois que je fus désespéré dans cette vie, si aucune ne m’étouffa, ce fut aussi par paresse. Et je conclus pour aujourd’hui, en l’avouant, qu’il y a plus de trois mois que j’ai dans mon pupitre le titre tout fait de cet article, à savoir Revenez demain, que toutes les nuits et nombre de soirs j’ai voulu durant tout ce temps-là y ajouter quelque chose, et que toutes les nuits ma lumière s’éteignait, tandis que je me disais en moi-même avec la plus puérile confiance dans mes propres résolutions : Eh ! demain je l’écrirai ! Sache-moi gré de ce que ce lendemain soit enfin arrivé, le mal en effet n’est pas complet ; mais foin de ce lendemain qui ne doit arriver jamais !